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MONNAIES, BANQUES ET FINANCES ALTERNATIVES

AVANT-PROPOS
Voir le diaporama en pièce jointe.
Il faut décoloniser l'imaginaire vis-à-vis du marché. C'est une création humaine, une institution sociale qui a pris de plus en plus de place depuis le Moyen-Age avec le développement du capitalisme et celui de la monnaie.
La sphère marchande-non marchande doit être distinguée de la sphère monétaire-non monétaire. Dans la sphère marchande, les échanges sont validés par un échange monétaire. Dans la sphère non marchande, les échanges supposent une validation par la collectivité (ex: l'éducation nationale). Ils comprennent des échanges non monétaires (don, réciprocité), ainsi que des échanges monétaires (ex. salaires des enseignants). La richesse est supérieure au PIB qui ne concerne que la sphère marchande.
La monnaie est un fait social qui structure toutes les sociétés. Elle a plus que des fonctions économiques: c'est un rapport social, elle crée des liens sociaux. La monnaie est un lien ou un trait d'union entre les membres de la société, en étant un médium homogène qui annule les dettes, qui les transfère et qui valide l'échange. Nous répondons à la dette que nous avons vis-à-vis de la société par l'impôt.
Dans nos sociétés, un mauvais usage de la monnaie engendre de l'exclusion sociale (Ex. exclusion bancaire). La monnaie est une institution sociale mais qui a été détournée par l’esprit du capitalisme et l'intérêt privé. L'histoire du capitalisme a montré que très régulièrement les citoyens s'unissent pour se réapproprier la monnaie à travers la finance sociale et plus récemment par de nouveaux modes d'échange : les SEL ou les monnaies locales complémentaires.
La monétarisation, et maintenant la financiarisation, des rapports sociaux crée de l'exclusion (bancaire et sociale). Les finances sociales et solidaires sont donc une alternative, des expériences concrètes contre la marchandisation de la monnaie. Une réappropriation citoyenne de la monnaie pourrait créer d'autres types d'échanges, tout comme les finances alternatives permettent de recréer de la cohésion sociale. Mais quelle généralisation est possible? Il convient d'étudier ces alternatives en étant exigeant.
LES MONNAIES LOCALES
I Situation générale
Il existe environ 5000 monnaies locales dans le monde, d'où une multiplicité d'expériences. Cette diversité peut surprendre. Pourtant elle était la norme dans le passé où se cotoyaient de nombreuses monnaies nationales et locales. Il y a eu appauvrissement progressif dans le domaine de la monnaie comme dans les autres (langues, biodiversité...), affaiblissant les capacités de résilience des économies. Comme dans les autres domaines, cet appauvrissement est lié au développement économique libéral et globalisé, et ce d'autant plus que la monnaie a été justement mise au service de ce type d'économie:
- Les monnaies continentales ont été privilégiées pour faciliter les échanges commerciaux transnationaux, facteurs de délocalisations.
- Les monnaies ont été rendues techniquement de plus en plus fluides grâce à leur dématérialisation, à l'informatisation, aux transferts de données par internet. Les échanges monétaires sont devenus ultrarapides, sans limite de temps et d'espace, facilitant la financiarisation de l'économie.
- La création monétaire est maintenant essentiellement d'origine bancaire par le biais des crédits. Les états ont abandonné cet instrument de pouvoir politique et économique aux banques, qui l'utilisent pour leur seul profit, souvent contraire à l'intérêt des populations et aux équilibres écologiques. Ceci pose un problème de perte de souveraineté des peuples et de contrôle démocratique.
La multiplication des monnaies locales ces dernières années est dûe à la prise de conscience des dysfonctionnement du système financier et de la monnaie suite aux différentes crises actuelles, financières, monétaires, sociales, écologiques... Beaucoup de projets de monnaies locales visent à mettre la monnaie au service d'une économie réelle, d'un développement relocalisé et qualitatif, responsable sur le plan social et environnemental.
II. Deux grands types de monnaies locales
- Basées sur le temps, comme les SEL (Systèmes d'Echanges Locaux) en France: hors du système marchand, indépendantes des monnaies nationales et donc des revenus des personnes. Ce sont des outils de restructuration des liens sociaux et de lutte contre la précarité.
- Basées sur une conversion de la monnaie nationale: essentiellement les MLC (Monnaies Locales Complémentaires) en France.
En 2005, une dizaine de monnaies SOL ont été lancées en France, soutenues par des fonds européens, les Conseils régionaux, de grands organismes de l'ESS (Economie Sociale et Solidaire) tels que la Macif, la Maif, le Crédit Coopératif, Chèque déjeuner... Pour les particuliers, elles se présentaient comme une carte de fidélité électronique. Leur développement a été limité, sans doute du fait du caractère trop "descendant" du processus.
A partir de 2010 sont apparues des monnaies locales complémentaires, initiées par des groupes de citoyens (processus ascendant): l'Abeille à Villeneuve-sur-Lot, la Commune à Roanne, la Luciole en Ardèche, la Mesure à Romans... En février 2015, le site monnaie-locale-complementaire.net en recence une trentaine en circulation et autant en projet.
III Grands principes des MLC, intérêt et questionnements
Les objectifs et les principes de fonctionnement des différentes MLC sont issus de processus auto-élaborés et sont donc variables d'une MLC à l'autre, selon le contexte et les besoins locaux ainsi que selon les acteurs qui sont à l'origine du projet.
Le caractère alternatif d'une initiative peut s'évaluer en fonction de son intérêt sur les 5 axes suivants: démocratie, émancipation, écologie, social et économique. Qu'en est-il pour les monnaies locales complémentaires?
1/ Une expérimentation démocratique
Beaucoup de monnaies locales sont élaborées par un collectif citoyen. Certains projets expérimentent des processus démocratiques avancés: fonctionnement collégial du groupe porteur, prises de décision au consentement, assemblées générales fréquentes, participation des usagers, transparence... Faire vivre ces principes n'est pas toujours facile car ils vont à l'encontre des habitudes et nécessitent plus de temps pour favoriser la prise de parole et l'écoute, l'élaboration de propositions acceptables par tous etc. Mais lorsqu'ils sont appliqués, ils permettent aux participants d'expérimenter concrètement d'autres fonctionnements collectifs, transposables dans d'autres situations. Ceux-ci peuvent constater l'intérêt de favoriser la prise en compte des différents points de vue, que ce soit sur le plan du projet lui-même par l'enrichissement des échanges et des solutions imaginées ou au niveau son vécu personnel. Ceci est facteur d'émancipation individuelle et collective, tout comme la prise en main directe de l'instrument traditionnel de pouvoir qu'est la monnaie.
2/ Le dédoublement de la monnaie
Lorsqu'une personne convertit des euros en monnaie locale, elle obtient des billets de monnaie locale qu'elle va pouvoir utiliser pour ses dépenses personnelles. Les euros correspondants sont conservés par l'association dans un fonds de réserve afin de pouvoir reconvertir la monnaie locale en euros si nécessaire. Ces opérations de reconversion ne sollicitent qu'une partie du fonds de réserve. L'association peut donc utiliser le reste du fonds de réserve en fonction de ses objectifs: placement éthique pour soutenir des projets écologiques ou sociaux par le biais de la NEF par exemple, ou investissement direct dans des projets, prêts à taux 0% etc. quand la monnaie locale est plus installée.
La forme de billets papier de la monnaie locale, plutôt qu'un support dématérialisé (carte de paiement), est liée à des contraintes légales. L'émission sous forme papier est en effet une des conditions pour que la monnaie locale ne soit pas considérée comme un service bancaire de paiement, ce qui impliquerait des contraintes lourdes d'agrément par l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) et la Banque de France. Mais cette circulation sous forme papier est aussi un choix volontaire de beaucoup de collectifs initiateurs d'une monnaie locale dans la mesure où il matérialise l'usage de la monnaie locale. A A chaque achat, les billets de MLC rendent visible ce choix personnel d'utiliser une MLC, et donc les choix de consommation, voire de société, qui sont soustendus par cet usage. Ils interrogent, suscitent de nombreux échanges et jouent un rôle pédagogique évident. La monnaie locale engendre aussi une réflexion sur ce qu'est la monnaie, sur la valeur de l'argent, qui peut entraîner une prise de distance émancipatrice face une société dominée par le pouvoir de l'argent dans tous les domaines.
La conversion des euros en monnaie locale complémentaire se fait classiquement avec une correspondance 1 euro = 1 unité de MLC, pour faciliter les paiements et la comptabilité des entreprises du réseau. Cette parité avec l'euro pose question sur le plan social et solidaire: contrairement aux monnaies locales basées sur le temps, avoir de la monnaie locale complémentaire suppose d'avoir les euros correspondants, d'où le risque qu'elle ne soit utilisée que par des "bobos". Les collectifs qui sont sensibles à cet aspect essaient de prévoir des dispositifs pour rendre la MLC accessible au plus grand nombre. Ce peut être par une bonification à la conversion: la personne reçoit plus de MLC que d'euros versés, voire les acquière gratuitement. Ceci suppose de trouver le financement correspondant pour alimenter le fonds de réserve, soit en interne (taux de reconversion, fonte, solidarité des autres usagers...), soit en externe (subvensions...). La monnaie locale devient ainsi un instrument de partage solidaire. Cette démarche pour rendre accessible la monnaie locale aux personnes ayant peu de revenus est d'autant plus pertinente qu'elle a été élaborée en partenariat avec des associations travaillant déjà avec ces personnes et que le réseau comporte des prestataires à prix réduits (épiceries et restaurants solidaires, boutiques d'objets d'occasion...).
3/ Un réseau de professionnels agréés
Une monnaie locale complémentaire ne peut être utilisée que dans un réseau de professonnels limité: en l'absence de législation spécifique, les MLC relèvent en effet de la dérogation accordée aux entreprises qui utilisent des moyens de paiement du type bons d'achat au sein de leur réseau.
En général les MLC intégrent une limite géographique, que ce soit au niveau d'une ville, d'un bassin de vie, d'un département, d'une région... Une MLC ne peut se dépenser que sur un territoire limité, pour les simples utilisateurs mais aussi pour les professionnels qui doivent trouver des fournisseurs locaux. Cette contrainte géographique est donc facteur de relocalisation des échanges marchands et des activités productives.
Les MLC peuvent aussi prévoir une sélection des prestataires en fonction de critères liés leur charte des valeurs: accepte-t-on tous les professionnels qui le souhaitent ou seulement ceux dont les pratiques apportent une plus-value sur le plan environnemental, social, culturel...? Des exigences plus élevées limiteront forcément le réseau des prestataires, d'où une difficulté à avoir un réseau de professionnels suffisamment dense pour que la MLC soit utilisée et circule correctement. A l'inverse, une absence de sélection réduit la possibilité d'être un moyen de transition écologique et sociale. Elle risque alors de perdre du sens et de ne plus motiver suffisamment ses acteurs et utilisateurs. Un certain nombre de MLC essaient de résoudre cette tension en demandant un engagement des professionnels à faire évoluer leurs pratiques d'une année à l'autre si leurs pratiques actuelles ne respectent pas les valeurs promues par la charte. Se pose alors le problème de l'évaluation de la sincérité de la démarche des professionnels.
4/ La fonte
La fonte provoque une perte de valeur des billets de MLC au fil du temps, selon différentes modalités. Par exemple, il peut être nécessaire de coller sur les billets un timbre équivalent à 2% de leur valeur tous les trimestres pour qu'il puisse encore être utilisé. Cette fonte incite à utiliser de manière préférentielle la MLC, accélérant sa vitesse de circulation. C'est un moyen de valoriser la fonction d'échange de la MLC et de lutter contre la thésaurisation, c'est-à-dire son accumulation, qui nuit à la dynamique économique. En outre le produit de cette fonte permet un financement du fonctionnement de l'association, de projets locaux etc. Par contre, l'application d'une fonte sollicite du temps de travail et son principe peut être difficile à faire accepter par ses utilisateurs. Toutes les MLC ne sont donc pas "fondantes".
5/ Une limitation de la reconversion
La reconversion de MLC en euros est souvent dissuadée de manière à promouvoir la circulation de la MLC en limitant la "fuite" de monnaie locale qui, reconvertie en euros, retourne au système bancaire. D'une part la reconversion par les simples utilisateurs n'est en général pas autorisée (autre condition pour que la MLC ne relève pas de la législation sur les moyens de paiement bancaire). Elle est par contre en général permise pour les professionnels mais le plus souvent avec un taux pénalisant, de 2 ou 5% par exemple. Le taux de reconversion est une incitation à trouver des moyens d'utiliser les MLC reçues, en particulier en recherchant des fournisseurs locaux appartenant au réseau, ou pour des dépenses personnelles si le salaire comporte une partie de monnaie locale. C'est donc un moteur de relocalisation et de création d'emploi local, d'une part en faisant travailler prioritairement les professionnels locaux, d'autre part en suscitant la création d'activités qui ne sont plus présentes sur le territoire ou pas en quantité suffisante. Une MLC qui circule bien peut jouer un rôle de stabilisateur économique lorsqu'elle représente une part suffisante de l'économie locale. C'est ainsi par exemple qu'elle peut être considérée comme un facteur de résilence locale, permettant d'atténuer les effets de crises financières et monétaires mais aussi d'assurer une certaine autonomie locale et de réduire les transports, anticipant la réduction de l'utilisation des hydrocarbures (pic pétrolier atteint), réduction de toute façon nécessaire pour lutter contre le déréglement climatique.
FINANCES SOLIDAIRES
Les formes de la finance non conventionnelle et des banques alternatives sont plurielles et à distinguer.
I. L'investissement socialement responsable
Il représente une grande masse d'épargne. Il est investi en fonction de critères financiers et non financiers, mais sur les marchés côtés et non dans de la finance solidaire. Il sert de label à des produits d'épargne qui peuvent être proposés par des entreprises telles que Total...
II La finance solidaire
Ce sont des fonds d'épargne. Le label Finansol distingue 130 produits dans différentes catégories:
- l'épargne de partage: les placements s'effectuent sur les marchés côtés mais avec un partage des intérêts. Les montants sont importants. Cependant le capital n'est pas placé de manière éthique.
- les fonds solidaires, par le biais de l'épargne salariale: 90% est placé sur les marchés côtés et seulement 5 ou 10% dans des entreprises solidaires devant remplir des critères au niveau de l'échelle des salaires, de la gouvernance démocratique, de l'utilité sociale, d'une moindre rémunération du capital... Des mécanismes permettent de diluer encore la part solidaire, parfois fortement. Aussi sur 10 milliards investis en finance solidaire, seulement 1 milliard va aux entreprises solidaires.
Un travail est actuellement mené vis-à-vis des assureurs pour intégrer des fonds solidaires au niveau des assurances-vie, où il existe seulement 1% de produits intégrant des fonds solidaires.
III La finance alternative
Sa part est plus réduite avec environ 700 millions d'euros. Les circuits sont courts avec une collecte directe des fonds. Ce sont:
- des fonds de capital risque solidaire
- ou des fonds citoyens dédiés à certains secteurs: par exemple Terre de Liens, Energie partagée, Habitat et humanisme
IV la NEF et les caisses solidaires
Elles ont une exigence et un défi de transparence de la circulation de l'argent et l'ambition de création de lien social, en particulier grâce à un système coopératif.
Les caisses solidaires dont des coopératives d'épargne et de crédit.
La Nef existe depuis 1988 et exerce les métiers d'une banque classique: collecte de fonds et crédits. C'est la seule banque éthique en France, à l'exception de Triodos, banque néerlandaise qui a des bureaux à Paris et qui ne peut accorder que des crédits (pas de collecte d'épargne). Elle propose des comptes à terme de 2 ans. Depuis peu elle est autorisée à assurer la gestion d'argent sur des durées inférieures à 2 ans ce qui ouvre la possibilité d'avoir des comptes courants. Mais les réglementations sont de plus en plus fortes au niveau européen (Bâle 3) et français, ce qui oblige encore maintenant la Nef à passer par l'intermédiaire du Crédit Coopératif. Comment être une banque éthique dans ces conditions? Les systèmes informatiques sont lourds. De plus la Nef prête l'argent déposé sur ses comptes et qu'il faut donc rémunérer suffisamment, tandis que les autres banques l'empruntent sur les marchés à taux d'intérêts actuellement très bas voire négatifs. Il devient très compliqué de prêter en dehors des projets risqués (que les autres banques ne financeront pas). La Nef développe actuellement une finance participative de proximité et sur de petits montants avec "Prêt de chez moi".
Beaucoup de monnaies locales complémentaires ont leur compte à la Nef mais celle-ci a trop de chantiers en cours pour être vraiment pointue dans ce domaine. L'Eusko (MLC du Pays Basque) consulte par exemple la Nef pour mettre en place une monnaie numérique mais le coût du système de virement, des cartes, du système informatique est élevé. Comment le financer? En Allemagne, ils ont associé un système de micro-crédit pour obtenir un modèle économique.
Sources:
Article rédigé à partir de l'atelier organisé le 7 février 2015 à Paris dans le cadre de la CNCL d'Attac (Conférence Nationale des Comités Locaux), à partir des interventions de Guillaume Patureau (Avant-propos sur la monnaie), Colette Boudou (Monnaies locales) et Amandine Albizzati (Finances alternatives)
Annexes:
Le diaporama sur la monnaie réalisé par Guillaume Patureau
"Monnaies locale complémentaires, présent et avenir" de Michel Lepesant
Une présentation des Accorderies par Marie Fare
Fichier attaché | Taille |
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MLC_présent et avenir.pdf | 171.21 Ko |
accorderie_marie_fare_fr.pdf | 535.48 Ko |
Marché monnaie et société.pptx | 91.21 Ko |
CNCL février 2015 Présentation de l'atelier monnaies banques et finances alternatives.odt | 22.6 Ko |
- INITIATIVES:
Spirale est un site d'Attac France
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