On parle actuellement de l’influence du climat et du changement climatique sur les ressources en eau et sur le cycle de l’eau.
On ne parle pas de l’inverse : l’effet sur notre climat des changements introduits par l’humanité dans le cycle de l’eau.
Or adopter cette perspective amène une vision nouvelle des évolutions actuelles du climat, et permet non seulement de comprendre de nombreux phénomènes mais aussi de proposer des solutions.
C’est ce qu’a fait un groupe d’hydrologues et de chercheurs slovaques et tchèque.
L’un d’entre eux, Michal Kravčík a fait une communication à la réunion du Mouvement Européen de l’Eau, lors de « Florence 10+10 » en novembre 2012.
Cette équipe, est composée d’hydrologues slovaques (certains avaient travaillé à l’Institut d’hydrologie de l’Académie des Sciences Slovaque), d’un chercheur tchèque collaborant avec l’Académie des Sciences, et d’un spécialiste des systèmes d’information géographique. Elle a fait, pendant plusieurs années, un travail essentiel et novateur sur l’eau et le climat qui dégage des perspectives révolutionnaires pour l’action dans ce secteur, perspectives issues de leur pratique et des réalisations concrètes du programme qu’ils ont élaboré. Ils ont fondé l’ONG « people and water ».
Ce n’est pas par hasard si ce travail a été réalisé dans un pays qui jadis a connu les mirages du « socialisme » avec toutes les illusions scientistes qu’il portait. La croyance dans la domination de l’homme sur la nature a fait, encore plus que chez nous, tomber dans des extrêmes l’aménagement du territoire.
Les haies dans les champs ? Supprimées, place aux grandes surfaces de monoculture à perte de vue, cultivées avec force engrais et pesticides.
Les méandres des fleuves ? Inutiles, leur surface peut dégager des terres cultivables, quand aux rivières, on peut les canaliser.
Place aux méga-réalisations de systèmes d’irrigation, place à la production !
Le réveil a été difficile, le système ne fonctionnait pas, et c’est le mérite du groupe de « People and Water » que d’avoir cherché à analyser les causes de l’échec, dans leur domaine, celui de l’eau.
Lentement, au sein « d’associations civiques concernées par les aspects scientifiques et pratiques de cette question », est venue l’idée d’un nouveau paradigme de l’eau.
L’échec le plus connu de l’ancienne conception (ils disent du « vieux paradigme ») est celui de l’assèchement de la mer d’Aral. La région jadis avait été fertile. Les programmes d’irrigation intensive pour développer l’agriculture ont réussi, en une trentaine d’années, à assécher la mer en partie. La zone est devenue désertique, balayée par les vents et les tempêtes dispersant le sel et les pesticides des berges dénudées vers toute la région. Une longue liste de problèmes de santé concerne les 3 millions d’habitants proches et les 35 millions des zones voisines, qui vivent désormais dans un environnement dégradé.
- FIG 22 — évolution des précipitations en Slovaquie
La Slovaquie, évidemment, n’en est pas là, mais les transformations réalisées par l’homme dans la deuxième moitié du XX° siècle ont amené un changement du régime des pluies, moins réparties dans l’année, plus abondantes sur une période plus courte, et plus rares sur une plus longue durée. Elles se sont aussi déplacées, tombant moins en plaine, et plus sur les montagnes, présentes dans ce pays du centre de l’Europe, avec en particulier la chaîne des Tatras (qui sépare de la Pologne).
En quoi les aménagements de grande ampleur et la tentative de remodeler la nature ont-ils joué pour expliquer ces modifications climatiques ? Peut-on corriger les effets négatifs de ces transformations et restaurer le climat qu’on a contribué à altérer ?
Quelles conclusions peut-on en tirer sur le rapport entre eau et climat ?
C’est le sujet de « Water for the Recovery of the Climate, A New Water Paradigm »
A Florence, lors de l’assemblée sur l’eau, Michal Kravčík a expliqué comment ils avaient proposé un programme national pour corriger les effets des aménagements de la période passée, qui se traduisaient par des périodes de sécheresse, suivies d’inondations : le moyen, c’est redonner à la terre sa capacité de stocker de l’eau, qu’elle avait perdu avec l’augmentation du ruissellement dû à l’agriculture productiviste, aux multiples aménagements visant à évacuer l’eau et à l’urbanisation croissante.
Le programme, approuvé par le gouvernement en octobre 2010, a été déjà appliqué pendant 18 mois dans les régions montagneuses. Il a donné les résultats attendus : parfois le temps de retour de l’investissement n’a été que de 6 mois, en raison des inondations évitées qui se sont produites ailleurs.
(voire la traduction de l’intervention à Florence ci-jointe)
La preuve pratique a été faite qu’en redonnant à la terre sa capacité à stocker l’eau, on pouvait éviter des événements climatiques extrêmes, car la terre gardait l’eau quand il y en avait, et la rendait quand elle manquait.
- FIG 1 - le grand et le petit cycle de l’eau
Michal Kravcik et ses collègues distinguent le petit cycle de l’eau, qui se traduit par l’évaporation qui retombe en pluie localement, s’infiltre dans le sol puis s’évapore à nouveau après souvent avoir contribué à la croissance de végétaux, et le grand cycle de l’eau, dans lequel le ruissellement conduit l’eau de pluie vers les rivières, puis vers la mer, où elle s’évapore puis retourne vers les continents dans les nuages qui donnent à nouveau des pluies.
L’urbanisation contribue beaucoup au développement de ce grand cycle, au détriment du petit cycle. Les eaux des toitures et des rues imperméabilisées sont conduites aux stations d’épuration, puis vont aux rivières et à la mer.
D’une autre manière, l’agriculture intensive actuelle concourt au même résultat : l’écoulement et le ravinement sont importants dans les champs, dépourvus de haies et de couverture arborée partielle.
Ce qui change avec l’agriculture actuelle et l’urbanisation croissante, c’est la diminution de l’eau qui s’infiltre dans la terre et l’augmentation de l’eau qui ruisselle. La terre est de moins en moins saturée en eau, elle est plus sèche, les forêts et les arbres (globalement) diminuent, l’Europe faisant partie des exceptions.
- FIG 4 - Distribution de l’énergie sur un sol sec et sur un sol saturé d’eau.
Or les forêts, avec l’évapo-transpiration des arbres, sont des lieux plus frais. Elles jouent un rôle régulateur pour le climat, de même que les zones humides, les étangs...
Les villes, où la chaleur du soleil est diffusée par le sol sec, sont au contraire des îlots chauds, avec une température plus élevée. Les champs, dénudés d’arbres, le sont aussi, dans une moindre mesure.
Ces îlots chauds modifient le régime des vents, qui emmènent l’été les nuages vers les zones plus fraîches des montagnes, où la pluviométrie croît, comme le montrent les relevés météorologiques sur des périodes longues.
- FIG 25 - tempête dans les Tatras, accélérée par les colonnes d’air chaud formées au-dessus des villes
Ces modifications peuvent aussi expliquer des tempêtes, avec l’accélération de masses d’air incidentes par les colonnes d’air chaud des villes et des campagnes voisines.
Si ces thèses, basées sur une expérience et vérifiées par la pratique n’expliquent pas le réchauffement climatique actuel, elles ont l’intérêt de nous faire comprendre de nombreuses modifications récentes du climat, et, mieux, le « nouveau paradigme de l’eau » nous propose des solutions pour agir.
Il s’agit de redonner à la terre sa capacité à stocker l’eau, qui a été dramatiquement mise en cause par notre société.
Qu’on pense par exemple à l’eau de pluie, qui dans nos villes ne s’infiltre plus dans le sol, mais part à l’égout (puis dans les rivières et la mer). En Europe, l’eau qui est ainsi canalisée et ne va plus alimenter les nappes phréatiques est évaluée à 20 milliards de m3 par an. Ceci n’aurait aucune conséquence pour nos climatologues !
C’est ce que contestent les promoteurs du « nouveau paradigme de l’eau »
Au lieu de se poser la question de l’effet du changement climatique sur l’eau, comme le fait le GIEC, ils posent la question, sur la base de leur expérience, des effets des modifications du cycle de l’eau sur le climat.
- FIG 35 - ouvrage simple de conservation de l’eau et d’infiltration
Ils proposent des mesures simples, réalisables localement, avec des moyens locaux eux aussi, qui pour un coût réduit, permettent de redonner à la terre sa capacité à stocker l’eau. Ces mesures sont essentiellement celles appliquées dans le programme national qu’ils ont élaboré.
A la campagne, elles incluent des fosses peu profondes en longueur, l’usage de dépressions sur les pentes comme réservoirs et lieux d’infiltration, la réalisation de petits barrages ou de creux sur les cours d’eau, et de toute une série de mesures visant à remplir les nappes et les sols avec l’eau auparavant évacuée.
Ceci me fait penser à un autre exemple, au Rajahstan, décrit par Bénédicte Manier dans « un million de révolutions tranquilles » : un district, autrefois fertile était devenu semi-désertique avec la « révolution verte » et l’abandon des systèmes ancestraux de conservation de l’eau. La réalisation de creux où l’eau des moussons s’infiltre progressivement dans la terre, comme dans le passé, a permis, sur une vingtaine d’années, de changer le visage de la région et d’y faire couler à nouveau des rivières taries. Le district est devenu verdoyant et fertile, l’exode rural des années passées a fonctionné en sens inverse, avec des retours à la campagne !
En Slovaquie, comme en Inde ou ailleurs, l’eau peut changer le climat !
- FIG 16 - l’ombrelle climatique chaude d’une ville
Dans les villes, où tout a été fait pour conduire la quasi-totalité de l’eau de pluie aux égouts, la régulation de la température par l’évaporation ou par la végétation ne se produit pas. Elles deviennent des îlots chauds, avec une température souvent de 4° plus haute que dans les campagnes voisines (parfois plus).
La situation implique alors des aménagements multiples :
D’abord faire que l’eau des toitures parte dans le sol, par des systèmes de drains percés posés dans des lits de graviers où elle s’infiltre, puis limiter au maximum les surfaces imperméabilisées ou bitumées, planter des arbres, faire revenir la nature dans les villes : ne deviendront-elles pas ainsi plus agréables à vivre, avec un air moins étouffant l’été ?
Au lieu des sombres perspectives tracées par le GIEC, l’intérêt du « nouveau paradigme de l’eau » est de nous proposer des mesures positives, à mettre en œuvre démocratiquement et au plus bas niveau possible, pour résoudre une partie des problèmes liés aux désordres climatiques.
Et ils proposent que ces mesures soient portées par les citoyens, reconnues et soutenues par les gouvernements, qu’elles fassent même l’objet d’une prise en charge internationale, sur le modèle du GIEC, avec un organisme dont le but serait de restaurer la capacité de la terre à stocker l’eau : gageons que cela fera grincer des dents tous ceux qui pillent allègrement les réserves en eau du sous-sol, que ce soit pour l’agriculture intensive destinée à l’exportation, l’industrie alimentaire, les mines géantes ou l’exploitation des gaz et huiles de schistes !
Mais nous avons là une perspective nouvelle, réjouissante, pour mener de nouveaux combats et des actions positives pour changer le climat (dans la limite de ce qui est possible) et pour améliorer de manière radicale la vie sur notre planète, loin des sirènes catastrophistes des milieux dominants et du GIEC, dont j’ai découvert les limites avec la lecture de cet ouvrage. Les possibilités de dépasser son cadre apparaissent, reste à les développer.
Je termine en espérant que ce livre sera bientôt traduit en français : la coordination eau Île-de-France, qui a déjà invité Michal Kravčík, souhaite y contribuer.
Je conseille à celles et ceux qui lisent l’anglais de le lire en ligne sur www.waterparadigm.org.
Les autres, en attendant une traduction, pourront prendre connaissance du résumé détaillé ci-joint. (nouveau paradigme 1 et 2)
Daniel Hofnung
Une nouvelle version de cet article a été rédigée en 2015: https://blogs.attac.org/paix-et-mutations/article/eau-et-climat-place-aux?var_mode=calcul
Références
Merci pour cetteexcellente
Merci pour cetteexcellente analyse. La kényane Wangari Maathai (prix Nobel de la Paix2004..), lors de son retour des USA, ayant constaté le tarissement des 350 torrents descendants du mont Kénya, suite aux déboisements pour planter du coton et autres cultures d'exportations, a lancé de vastes campagnesde reboisements ( plantation de 47 millions d'arbres,de variétés locales..) et le régime de s pluies a été nettement amélioré, les torrents sont revenus et à nouveau, les habitants ont pu mieux se nourrir.
A lire "Celle qui plante les arbres"(autobiographie, 8€ en format poche ) et visionner le superbe DVD"Taking Root" - visible en anglais gratuitement sur youtube ou version doublée en français chez<espergala@wanadoo.fr>
cordialement
Emile Mas <espergala@wanadoo.fr>
A plusieurs associations, nous allons lancer des pétitions , un site, etc pour contribuer à protéger les forêts existantes, replanter des haies et des forêts surtout dans le tiers-monde .
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